J'ai commencé le dessin par des portraits de jeunes filles au jardin du Luxembourg à Paris il y a 20 ans avec un ami qui m'a enseigné les rudiments du croquis ("dessine de la main gauche", "regarde le modèle plus que ton croquis", voire même "ne regarde que le modèle"). C'est la révélation.
Quelques milliers de portraits plus tard, j'entre aux beaux arts à Grenoble, pour y croquer des corps nus (enfin !!!). Le défi, c'est de capter la beauté et l'énergie d'un modèle pendant les quelques minutes de la pose. Le croquis m'a fait explorer toutes les techniques (encre, pastel, aquarelle, gouache) avant de me confronter à la reine des peinture : l'huile.
La technique est ardue et m'oblige à commencer sagement par des natures mortes avant de pouvoir retourner à mes premières amours et faire des croquis de nus à l'huile. Le miracle, c'est que la technique de la peinture à l'huile (réputée longue) peut s'adapter au croquis tout en permettant un rendu proche des ébauches des anciens (Velázquez, Rembrandt, Delacroix).
Je cherche à exprimer ce qui m'est le plus cher (l'humain) dans une peinture dynamique avec de belles couleurs, de la matière, des lignes de force, des contrastes et un toucher. Chaque croquis réussi est un défi au temps et au hasard. Les constellations de croquis sont un aboutissement dans la virtuosité.
Les pochades, comme "la sébile", sont des tableaux plus mûrs quoique également fruit de l'urgence, où le message apparaît sans préméditation, comme l'introspection dans un autoportrait.
Un ami, rentré récemment de l'observatoire du Chili, m'a rapporté que de nouvelles constellations étaient en cours de formation dans une zone du ciel proche du Centaure. J'ai pointé mon télescope à monture Cassegrain dans la direction mentionnée, et j'ai réalisé les croquis à l'huile ci dessous d'après l'observation. Une publication comprenant l'analyse détaillée des résultats est en cours, en collaboration avec l'observatoire de Nice.
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Les
modèles sont placés dans un rai de
lumière
très forte qui projette leur ombre sur le mur blanc de la
villa
Serge. Le temps de pose est rapide comme d'habitude, mais ce serait
péché que de ne pas prendre le temps de dessiner
cette
ombre toute aussi sensuelle que le modèle lui
même.
Souvent, l'ombre et le modèle semble se contredire, l'un va
à gauche et l'autre de coté, l'une montre son
flanc,
l'autre son dos, l'un semble s'enfuir et l'autre se donner. Ce qui les
relit c'est la ligne blanche du mur violemment
éclairé
par l'halogène.
La ligne blanche, c'est celle qui ne faut pas franchir. Même
si c'est le printemps...
A
la fin de la séance, après s'être
rhabillée,
le modèle revient vers la sellette pour y recueillir le
pourboire déposé dans la sébile par
les
étudiants du cours d'académie. Il y a deux ans,
ce
détail était passé
brièvement dans
l'actualité nationale à la suite d'un conflit,
à
Paris, entre modèles et étudiants.
Or le modèle du tableau ci-contre revient toujours
directement
vers la sébile, sans jeter le moindre regard pour les
dessins et
peintures que nous faisons d'elle, ce qui pourrait sembler inattendu de
la part d'une étudiante en art (art contemporain il est
vrai). Le bras du modèle tendu vers la sébile prend donc
tout son sens. En peinture, comme en photo, le petit détail qui pimente
l'histoire du tableau donne parfois des ailes à la
composition.
Vous reconnaitrez en haut à gauche les bords de la lampe halogène brinquebalante qui constitue l'unique éclairage de la salle de modèle vivant de la villa Serge. L'oreiller rouge vient donner une note passionnée à cette histoire. Les franges blanches du tissu ramènent le regard vers la main, puis vers le visage, et les autres rondeurs de ce très beau modèle. N'espérez pas laisser votre regard s'échapper par la fenêtre, au fond à droite : malgré la température clémente de ce printemps, elle est fermée. Suivez donc les bords de la sellette et revenez vers la case départ (la sébile) sans toucher 20000 francs puisque le modèle est déjà parti avec le contenu de la sébile.